Le matin s’étirait doucement sur La Martais, enveloppant les champs et les bois d’une brume légère. Une odeur de terre mouillée montait du sol, mêlée au parfum sucré des fleurs sauvages encore couvertes de rosée. Au loin, le murmure d’un ruisseau accompagnait le chant matinal des oiseaux. Les oiseaux chantaient dans les haies bocagères, et l’odeur de la terre humide flottait dans l’air. Diben, les pieds nus dans l’herbe perlée de rosée, observait la lumière dorée du soleil filtrer entre les branches.
Depuis qu’il avait découvert qu’il pouvait se fondre dans le vent, il sentait quelque chose d’autre en lui, un appel secret, une force encore inconnue qui vibrait à chaque pas qu’il faisait vers la rivière. Aujourd’hui, il voulait comprendre.
Il descendit la pente douce menant au ruisseau qui serpentait à travers les prairies. Des libellules bleutées frôlaient la surface de l’eau, tandis que quelques grenouilles sautaient d’une pierre à l’autre, disparaissant aussitôt dans les hautes herbes. Plus loin, un martin-pêcheur fondit comme une flèche vers le courant, troublant un instant le miroir limpide du ruisseau avant de reprendre son envol.
L’eau y était claire, dansante, chantante, courant entre les pierres moussues comme un murmure éternel. Il s’agenouilla au bord, plongeant ses doigts dans l’eau glacée. Une sensation étrange le parcourut. Ce n’était pas seulement la fraîcheur qui le fit frissonner, mais quelque chose de plus profond, plus ancien.
Diben ferma les yeux et écouta. L’eau parlait. Pas en mots comme les humains ou même le vent, mais en sensations, en rythmes, en souvenirs liquides qui glissaient contre sa peau. Il effleura la surface de la main et vit les remous répondre à son geste. Était-ce lui qui guidait l’eau, ou l’eau qui l’appelait ?
Un rire léger lui échappa. Il adorait ce sentiment d’union avec les éléments, comme si le monde entier n’était qu’un vaste secret qu’il lui restait à percer.
Curieux, il avança un pied dans l’eau. Le froid mordant lui arracha un frisson, mais il ne recula pas. Il s’avança un peu plus, jusqu’à ce que l’eau atteigne ses genoux. Chaque mouvement du courant contre sa peau lui semblait familier, comme un jeu oublié.
Puis, il sentit quelque chose changer.
Sa peau picotait, comme si le ruisseau l’invitait à aller plus loin. Il plongea les mains, et cette fois, ce ne fut pas seulement la sensation de l’eau sur lui… mais en lui. Comme si son propre corps devenait plus fluide, plus léger.
Un souvenir enfoui refit surface.
Le Chant de l’Eau
Il était encore un tout petit korrigan, bien avant de s’installer à La Martais. Dans la forêt de Brocéliande, il aimait jouer près des sources, sautillant de pierre en pierre, les pieds trempés par l’écume des ruisseaux. Un jour, alors qu’il observait les tourbillons formés par l’eau, il avait eu l’impression qu’ils répondaient à ses pensées. Il avait tendu la main, et les ondulations s’étaient modifiées, suivant ses mouvements.
Mais il n’y avait jamais prêté plus d’attention.
Jusqu’à maintenant.
De retour au ruisseau, Diben prit une inspiration et plongea la tête sous l’eau. Il s’attendait à sentir la pression de l’eau contre son visage, à entendre les bruits assourdis du courant.
Mais ce qu’il ressentit fut différent.
Il ne retenait pas son souffle.
Il ouvrit les yeux et vit l’eau tout autour de lui, mais il n’avait ni besoin de respirer ni envie de remonter. Au contraire, il se sentait bien, léger, presque… libre.
Il tendit les mains et vit que ses bras semblaient se confondre avec l’eau, comme s’ils n’étaient plus vraiment solides. Pris d’un élan d’audace, il avança. Son corps glissait, sans résistance. Il n’avait plus de poids, plus de limite. Il était l’eau.
Il dansa avec le courant, passant entre les pierres, tourbillonnant sous la surface comme une feuille portée par le flot. Il se sentait partout à la fois, chaque goutte du ruisseau lui semblait une partie de lui-même. Il riait intérieurement, découvrant une nouvelle facette de son être.
Mais une inquiétude germa en lui. Savait-il redevenir lui-même ?
Il tenta de bouger comme avant, de sentir ses pieds sur le sol, ses bras, son visage. Mais il n’était que vague et écume. Un frisson d’angoisse le parcourut. Et si… et s’il restait ainsi à jamais ?
Non.
Il ferma les yeux, se concentra. Il pensa à sa peau, à ses cheveux roux, à ses vêtements trempés par l’eau. Il voulait sentir à nouveau le vent, l’herbe, la terre sous lui.
Lentement, il sentit un changement. L’eau autour de lui devint plus lourde, son corps retrouva une densité. Il toucha le fond du ruisseau, sentit le courant s’écouler sur ses joues au lieu de les traverser. Il ouvrit les yeux et vit ses mains, redevenues solides, qui tenaient une pierre lisse couverte de mousse.
Il était de retour.
Haletant, il émergea à la surface et s’accrocha à une racine qui plongeait dans l’eau. Le soleil brillait au-dessus de lui, les oiseaux chantaient comme si rien ne s’était passé.
Mais lui, il savait.
Il sortit de l’eau et s’assit sur un rocher, le regard perdu sur le ruisseau qui coulait paisiblement. Il venait de comprendre un autre secret du monde, un autre pan de son pouvoir.
Il pouvait être l’eau, aussi bien qu’il était le vent. Et s’il y avait d’autres éléments qui l’appelaient encore, d’autres secrets enfouis au cœur du monde, n’attendant que d’être découverts ?
Un sourire illumina son visage.
L’univers avait encore tant à lui apprendre.
03 - Diben, Le Souffle de la Rivière