Diben et le Chant de la Lune
La nuit était tombée sur La Martais, enveloppant le gîte et ses pommiers d’un voile argenté. Diben, blotti au creux d’un vieux tronc moussu, observait la clairière baignée de lumière. Ce soir-là, quelque chose d’inhabituel flottait dans l’air : une mélodie douce, presque murmurée par le vent.
Intrigué, le jeune korrigan tendit l’oreille. Ce chant semblait venir du cœur du verger. Il sauta sur ses petites jambes et s’élança entre les hautes herbes, évitant les racines noueuses avec l’agilité d’un chat sauvage.
Plus il avançait, plus la mélodie se précisait. Ce n’était pas une simple brise nocturne, mais bien une voix cristalline qui fredonnait une vieille berceuse oubliée. Diben s’arrêta net. Devant lui, sous le plus ancien des pommiers, une silhouette translucide dansait sous la lumière lunaire.
C’était une jeune femme aux cheveux flottants comme une brume d’automne. Sa robe semblait tissée de clair de lune, et son chant… son chant faisait vibrer chaque feuille, chaque pétale du verger.
Diben savait qu’il ne devait pas parler trop vite. Les esprits anciens pouvaient être capricieux. Il s’approcha prudemment et chuchota :
— Qui es-tu ?
La silhouette tourna lentement la tête vers lui, ses yeux brillants comme des étoiles dans l’ombre.
— Je suis Lira, l’écho d’un temps où les arbres chantaient encore aux korrigans…
Diben plissa les yeux. Il connaissait les légendes des korrigans chanteurs, mais cela remontait à bien avant son arrivée ici.
— Pourquoi chantes-tu cette nuit ?
Lira soupira, et une brise souleva doucement les branches au-dessus d’eux.
— Parce que l’arbre-mémoire oublie… Il a vu tant d’hivers qu’il s’endort doucement, et avec lui, s’effacent les histoires d’autrefois. Si plus personne ne l’écoute, il s’éteindra.
Diben posa une main minuscule contre l’écorce du vieux pommier. Sous sa paume, il sentit une vibration faible, un battement lointain, presque imperceptible.
— Comment puis-je l’aider ? demanda-t-il.
Lira sourit, et sa voix devint un murmure dans le vent.
— Répète après moi…
Alors, sous la lueur de la lune, Diben chanta.
Sa voix, d’abord timide, trouva bientôt le rythme des feuilles frémissantes. Il chanta comme les anciens korrigans, comme les racines qui chuchotent sous la terre, comme la sève qui danse sous l’écorce.
Le pommier frémit. Ses branches se redressèrent légèrement, et dans un soupir d’aube, il sembla respirer à nouveau.
Lira s’évapora doucement, son sourire s’étiolant dans la brume argentée. Mais son chant résonnait encore dans l’air, porté par la voix du petit korrigan.
Depuis cette nuit-là, Diben revint souvent sous le vieux pommier pour murmurer ses mélodies. Et à chaque note, l’arbre semblait écouter, vivant encore un peu plus longtemps, gardien des histoires anciennes, veillant sur La Martais et son korrigan chanteur.
04 - Diben et le Chant de la Lune